CHAPITRE 18
— Des cris, dis-je. Des cris humains. Ils semblaient lointains, mais c’est de là qu’ils venaient.
Mes amis me regardèrent. Tous sauf Marco, qui détourna les yeux. C’était l’après-midi du même jour, juste après l’école. On était allés faire un tour en ville, estimant que c’était le meilleur moyen de ne pas attirer l’attention. Personne ne trouve anormal de voir des jeunes se balader en groupe dans le centre-ville.
Assis à une table de la cafétéria, nous mangions des nachos. Depuis que j’avais avalé l’araignée, j’essayais de l’oublier en me gavant de nourriture exotique.
— A ce moment-là, tu étais un lézard, fit observer Marco. Tu as peut-être mal entendu.
— Non, j’ai bien entendu.
— Je ne peux pas supporter l’idée de ce qu’on inflige à des gens dans cet endroit, déclara Cassie en frissonnant. C’est écœurant.
— Il faut faire quelque chose, ajouta Rachel.
— C’est ça, dit Marco. On fonce là-bas tout de suite. Du coup, on sera les prochains à hurler.
Je m’aperçus que j’avais perdu mon appétit pour les nachos.
— Marco, tu ne peux pas te contenter d’ignorer ce qui se passe, fit Rachel.
— Et comment que je peux ! Il me suffit de me rappeler un petit détail. Devinez lequel ? Que je ne veux pas mourir.
— Alors, c’est la seule chose qui compte, hein ? reprit Rachel indignée. Faire uniquement ce qui convient le mieux à M. Marco.
— Je ne crois pas que Marco soit égoïste, intervint Cassie. Bien au contraire. Il pense à son père. A ce que deviendrait son père si jamais…
— Il n’est pas le seul à s’inquiéter pour les autres, insista Rachel. Moi aussi j’ai une famille. Nous avons tous une famille.
— Pas moi, dit doucement Tobias avec son petit sourire triste. C’est vrai. Personne ne s’inquiète de ce qui pourrait m’arriver.
— Si, moi, fit Rachel.
Cela me surprit. Rachel n’est pas précisément une sentimentale.
— Écoutez. Je ne demande à personne de m’accompagner, mais je n’ai pas le choix. Aujourd’hui, j’ai entendu ce cri, et je sais que ce soir, Tom descendra là-dedans. C’est mon frère. Il faut que j’essaye de le sauver. (Je tendis les mains avec fatalisme.) Je suis obligé d’agir. Pour Tom.
— Je viendrai avec toi, dit Tobias. Pour l’Andalite.
— Nous sommes les seuls à pouvoir tenter quelque chose pour arrêter les Yirks, continua Rachel. Je suis morte de trouille rien que d’y penser, mais j’irai.
Marco parut mal à l’aise. Il me foudroya du regard et secoua la tête.
— C’est stupide, s’exclama-t-il. Complètement stupide. Si ce n’était pas pour Tom, je laisserais tomber.
— Écoute, Marco, rien ne t’oblige…
— Oh, tais-toi ! cria-t-il. Tu es mon meilleur ami. Tu crois vraiment que je vais te laisser affronter ces créatures tout seul ? Je suis avec toi. Je suis avec toi pour sauver Tom, un point c’est tout. Après ça, terminé !
Seule Cassie avait gardé le silence. L’air songeur, elle regardait au-dessus des têtes des passants.
— Vous savez, dans l’ancien temps – je parle d’une époque vraiment très, très ancienne –, les Africains, les Européens, les Indiens… tous croyaient que les animaux ont des esprits. Et ils invoquaient ces esprits pour se protéger des dangers. Ils demandaient sa ruse à l’esprit du renard, sa vue à l’esprit de l’aigle, sa force à l’esprit du lion. Je pense que ce que nous faisons est en quelque sorte inné, bien que ce soit le pouvoir andalite qui l’a rendu possible. Nous ne sommes toujours que des pauvres humains apeurés, essayant de s’approprier la ruse du renard et les yeux de l’aigle… ou du faucon, ajouta-t-elle en souriant à Tobias. Et la force du lion. Tout comme il y a des milliers d’années, nous faisons appel aux animaux pour nous aider à lutter contre le mal.
— Leur pouvoir sera-t-il suffisant ? demandai-je.
— Je ne sais pas, reconnut gravement Cassie. C’est comme si toutes les forces élémentaires de la planète Terre étaient engagées dans la bataille.
Marco leva les yeux au ciel.
— C’est une belle histoire, Cassie. Mais nous sommes cinq adolescents normaux, ayant pour adversaires les Yirks. S’il s’agissait d’un match de foot, sur quelle équipe parierais-tu ? On est vaincus d’avance.
— N’en sois pas si sûr, dit Cassie. Nous combattons pour notre mère la Terre, et elle a plus d’un tour dans son sac.
— Tant mieux, ricana Marco. Allons prendre une triple ration de vitamines et partons arracher quelques arbres.
Tout le monde rit, y compris Cassie.
— Cassie a raison sur un point, déclara Rachel. Notre seule arme est l’animorphe et, jusqu’ici, nous avons uniquement morphosé en chat, en oiseau, en chien, en cheval et en lézard. Je pense qu’il faut augmenter notre force de frappe. Allons faire un tour au zoo. Nous avons besoin d’emprunter un complément d’ADN à quelques animaux plus sauvages.
J’approuvai d’un hochement de tête.
— D’accord. Je ne crois pas qu’un faucon, qu’un cheval ou un lézard soient capables d’impressionner les Yirks. Nous avons besoin d’un peu d’aide des plus robustes animaux de la Terre. Tu peux nous faire entrer ? demandai-je à Cassie.
— Moi, j’entre gratuitement, répondit-elle. Vous, vous serez obligés de payer, mais je peux vous faire bénéficier du tarif des employés grâce à maman, ça vous coûtera moins cher.
— Oh, je suis persuadé qu’on pourrait les convaincre de nous laisser entrer sans payer, dit Marco. Il suffirait de leur dire qu’on est les Animorphs.
— Leur dire qu’on est les quoi ? demanda Rachel.
— Des inconscients, rectifia Marco.
— Les Animorphs…
Je me répétai le mot. Il sonnait bien.